mercredi 30 mars 2011

Masculin Féminin : La femme pourrait elle désirer un homme en robe à fleurs ?



MASCULIN  /  FEMININ : UN VÊTEMENT, DEUX GENRES
 
Costume cravate et robe à fleurs : un couple, deux mondes.
Ces symboles sont si forts qu’ils représentent à eux seuls les univers masculin d’un côté, féminin de l’autre. Y a-t-il encore tant de différences entre vêtements d’hommes et vêtements de femmes ? Sont elles à ce point significatives  et représentatives d’une distinction homme femme dans nos sociétés occidentales ? Comment deux vêtements si anodins peuvent ils porter une telle charge symbolique sur leurs pauvres épaules de chiffon ?
Le vêtement a cette force qu’il témoigne d’une époque, d’une société, en cela qu’il exprime ce que l’être qui l’a créé puis celui qui le porte, souhaitent, consciemment et inconsciemment, dire. Le vêtement est un discours, avec un émetteur, un propos, et un récepteur. Un discours qui a ses règles rhétoriques portant en grande partie sur l’argumentation, et qui permettent à la fois pratique et analyse.
Nous parlons du vêtement occidental.

Il peut y avoir des vêtements féminins[1], d’autres masculins, mais il n’y a pas, spécifiquement, de vêtements d’hommes et de vêtements de femmes. Pas de chasse gardée. Si nous listons les pièces, robe, pantalon, ensemble, chemise, etc… les hommes comme les femmes les portent toutes (les écossais portent des kilts, les avocats des robes, les femmes des smokings). Ce sont les occasions du porté qui diffèrent ainsi que les composants[2] du vêtement. Ces différences qui déterminent ainsi le genre féminin ou masculin du vêtement, sont régies par des règles qui peuvent sembler arbitraires, ou absurdes, en tous cas étranges : pourquoi un homme ne porterait-il pas une robe à fleurs sans provoquer éclats de rire, panique, ou mépris ?
 Aujourd’hui, ce n’est plus l’interdit qui limite les pratiques (comme ce fut le cas des lois somptuaires), dans l’absolu tout est possible et rien n’est obligé. Nous nous situons dans le domaine du permis. Il y a des choses permises, ou plutôt qu'on se permet, et d’autres pas. Une sorte d’autocensure qui recevrait l’assentiment général.

 Alexis Mabille,été 85. Féminin / masculin : pas de chasse gardée.
Nous pourrions imaginer que la différenciation des genres provienne uniquement de différences morphologiques. Elle se situerait alors au niveau de la coupe d’un vêtement, et dans le seul cas de vêtements ajustés : davantage d’ampleur sur la carrure pour l’homme, sur les seins et les hanches pour la femme, taille resserrée pour la femme, droite pour l’homme. Ni plus, ni moins.
Or il existe en effet, pour une même pièce, une coupe homme et une coupe femme, mais celles-ci ne se conforment pas à la morphologie : il suffit de comparer les décolletés des tee-shirts femme ou homme.
 Les différences entre les genres touchent le vêtement sur tous ses composants (les formes, les couleurs, les matières, les finitions), et peuvent être flagrantes ou ténues, de l’ordre du presque invisible. Aux femmes des matières fluides et transparentes que les hommes porteront rarement, une question de tenue, des couleurs vives, que les hommes ne porteront que  dans certains cadres (vêtement de sport, ou, en ville, plutôt les hauts), une question de réserve. Côté finitions : quand pour les femmes, tout est envisageable, et fantaisie, pour les hommes, tout est significatif (ainsi des 2 ou 3 boutons des costumes, des cols américains, français ou italiens des chemises, des cols V ou rond des pulls), une question de code.  
 Masculin : Lunettes vives (Blow de Dior, 2005) et couleurs vives pour les hauts.
 On voit qu’il ne s’agit pas uniquement d’écart entre vêtement d’homme et de femme, mais aussi à l’intérieur d’un même genre, et notamment du masculin. Ce n’est pas que le fuchsia soit défendu dans la garde robe masculine, mais autant il est possible sur une cravate, en touches sur un pantalon de ski, mode sur un jean, une chemise ou un pull, autant cette couleur n’est pas vraiment envisageable pour un costume. Alors que la femme portera du fuchsia sur toutes ses pièces, tailleur compris.

La notion de genre pour le vêtement repose ainsi sur la compréhension des écarts à deux niveaux : 
Au niveau du porté du vêtement, et dans ce cas les femmes portent à peu près tout, à toutes occasions. Ce sont les hommes qui restreignent leur porté. Au niveau de l’aspect du vêtement. Pour une même pièce, il y a indéniablement un aspect féminin, et un aspect masculin, parfois rendu par la sémantique : une chemise / un chemisier, un costume / un tailleur pantalon. Les femmes, qui portent tout, iront alors jusqu’à porter des vêtements d’homme. Pas les hommes. Ces écarts peuvent avoir des raisons historiques, sociales, psychologiques. Leur maintien actuel et leur évolution relèvent d’un consensus social, où chacun doit trouver son compte.


Au delà de toute raison : le boutonnage.
Les hommes boutonnent vers la droite, les femmes vers la gauche. C’est la différence majeure entre vêtement d’homme et vêtement de femme. Elle n’est pas d’ordre esthétique (une fois le vêtement fermé la différence n’est pas significative), mais se rapporte au geste, c’est à dire au faire, à l’être en action. Il n’y a aucune raison physique à cela. Mais une raison historique qui n’a plus lieu d’être : Les hommes boutonnent  vers la droite car ils boutonnent de la main gauche, pour laisser libre la main droite, à tout moment, la main droite qui tient l’épée. Qui, aujourd’hui,  porte  une épée ?
Pourtant, le geste du boutonnage est tellement ancré dans la mémoire collective qu’il est inimaginable de concevoir une veste d’homme boutonnant vers la gauche, et réciproquement. Quand tout autre indice aurait disparu, taille, coupe, matière, doublure, marque, finitions, il resterait une ultime façon de connaître le genre d’un vêtement, c’est de le boutonner. Le boutonnage est le génotype du vêtement. Or, qui a connaissance de cette différence, anodine et fondamentale ? Les femmes, qui empruntent plus facilement dans la garde robe masculine, ont pu posséder une veste homme. Il est extrêmement rare qu’un homme ait fait l’expérience de boutonner vers la gauche, c’est à dire avec la main droite, ou plutôt de ne pas trouver ses boutons d’instinct, les yeux clos.

Nous sommes sur une pratique instinctive qui relève de l’Habitus et la différenciation physique qui est faite entre masculin et féminin est un argument qui vient, après coup, justifier une différenciation sociale antérieure[3]. Nous nous situons en amont du discours vestimentaire de différenciation, qui est un discours social. Nous sommes loin des écarts anecdotiques qui peuvent faire sourire et seule la conscience effective et physique de ce geste donne accès à la conscience du niveau d’ancrage de l’ensemble des différences entre vêtement masculin et féminin. Conscience qui, alors et alors seulement, nous permet d’intervenir sur cette distinction entre vêtements masculins et féminins d’une façon ou d’une autre.


La jupe ou la robe, et le pantalon.
Sans doute la différenciation la plus emblématique : aux femmes les jupes et les robes, aux hommes les pantalons. Longtemps les femmes ont été interdites de pantalon, alors que pour les hommes, ne pas porter de jupe est encore un choix.
Les femmes ont investi le pantalon, d’abord pour des questions de commodité, de confort, très timidement, dans les vêtements de sport, ou « d’après midi », puis massivement dans les vêtements de jour à partir de 1965. Pantalon qui jusque dans les années 70 leur était encore interdit dans de nombreux endroit (au travail, dans les écoles), sous prétexte de pudeur (on ne montre pas le haut des jambes) et en fait pour une raison de statut social. Il est intéressant de se rappeler que ce n’est qu’en 1965 que la femme peut ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de son mari, et que l’homme n’est plus chef de famille en 1970 (l’autorité parentale devient conjointe aux deux parents). L’expression « porter la culotte » prend tout son sens à l’énoncé de ces dates.

Aujourd’hui, les hommes continuent de dédaigner les jupes, pourtant si confortables (légèreté)  en été, alors qu’ils ne refusent pas de montrer leurs jambes en portant des shorts. Il ne s’agit pas d’une simple affaire de protection, ni de pudeur[4]. Pour le vêtement de jour, l’argumentation logique est d’être conforme aux règles. Ici, règle de distinction entre deux  groupes : puisque l’interdit sur les pantalons a été levé, ne pas se permettre les jupes est une façon de conserver la distance homme / femme à l’intérieur d’un même groupe social. Car ils n’ont rien contre les jupes, ces hommes qui portent des kilts (ô combien distinctifs), en toute saison (et si peu confortables en hiver).
La robe, autrefois portée autant par les hommes que par les femmes a été laissée à l’usage stricte des femmes dans notre société occidentale à partir de la Renaissance. Les hommes ont adopté les hauts de chausses, pour montrer leurs belles jambes, laissant aux femmes la robe (portée longue, ample, elle était un gage de pudeur et de simplicité) et quelques restrictions somptuaires (qui ne leur accordaient que les manches pour laisser libre cours à leur fantaisie. On sait la beauté des manches à crevées et la suite !) Cependant, aujourd’hui encore, l’homme a recours à cette même robe pour exprimer son appartenance à des institutions qui s’appuient sur de fortes valeurs morales. Ainsi les hommes d’Église et les hommes de Loi, qui développent dans le discours vestimentaire une argumentation éthique  puissante, reposant sur les thèmes de dignité, de moralité, de sagesse, portent alors de vastes robes longues. Une même robe qui sur la femme est une argumentation logique de distinction (vs l’homme), deviendra pour l’homme, une forte argumentation éthique (faisant référence à l’ethos de l’émetteur du discours, ici celui qui porte le vêtement, et donc à la représentation de soi)[5] ; seule argumentation possible pour que l’homme accepte d’endosser ce vêtement porté par les femmes.


Le décolleté  ou le principe d’ambivalence.
Il est étrange de constater comme celui des femmes est ouvert et celui des hommes fermé. La question de la pudeur aurait pu faire penser le contraire. Les femmes ont une poitrine que les hommes n’ont pas : pourquoi s’ingénier à en rendre l’existence si perceptible, alors qu’une bonne ampleur, et un décolleté moyen (suffisant pour faire passer la tête) satisferait les deux physionomies (logeant la carrure de l’un et la poitrine de l’autre) ?

La pudeur fait loi pour le vêtement de jour. C’est une règle sociale parfaitement définie par une juridiction et des convenances. Aujourd’hui, on ne se met pas nu ni dans la rue, ni dans les fontaines publiques. C’est une règle liée à la sexualité, on cache ses organes sexuels, le haut de ses cuisses, ses fesses, et la femme ses seins. C’est une règle qui n’est pas la même pour les hommes que pour les femmes. La notion de pudeur est érigée sur le très ancien état de fait où l’homme était le plus paré et la femme la plus pudique : la nudité n’a pas la même signification pour l’un que pour l’autre. En témoigne ce très vieil usage, certes presque tombé en désuétude dans notre société, mais révélateur : en entrant dans une église l’homme, par humilité, se découvre, la femme, par humilité, se couvre.[6]
Sans entrer dans l’analyse des causes psychologiques, et même si l’exemple donné porte sur le port d’un chapeau ou d’un foulard, la logique s’applique pour le vêtement en général. Ce qui est logique, c’est de porter un vêtement conforme aux marques de distinctions sexuelles préconisées par la société. Vêtement d’homme : pudeur d’homme, vêtement de femme : pudeur de femme.
On peut rapporter l’observation au cas d’un pantalon actuel, de jour ; la forme étroite d’un pantalon, est, pour un homme, un argument qui touche au plaisir, ou à l’orgueil de montrer son corps[7], alors que pour une femme, c’est un argument qui touche à la pudeur, c’est à dire et à la façon qu’elle aura de se soumettre à ses règles, ou au contraire de s’y refuser. Plaisir, honte, image de soi, sont, nous l’avons vu, des arguments du domaine de l’ethos ou du pathos. Cependant l’argument logique demeure. Il s’agit alors, pour le créateur ou le porteur du vêtement, d’exprimer que ce pantalon étroit est, pour l’un, un vêtement qui montre (ou non) et pour l’autre, un vêtement qui cache (ou non).

Quand au décolleté, chez les femmes, l’argument touche à la façon dont on cache une belle poitrine pour les vêtements de jour qui répondent à la règle de pudeur (tout en montrant qu’elle existe, pour émouvoir l’autre), et à la façon dont on la magnifie pour les vêtements du soir (qui répondent à une logique esthétique du beau) tout en montrant qu’on la cache (honte de la nudité). D’ou les décolletés ouverts, pour les tee-shirts comme pour les robes du soir, dessinés  au plus prêt de la courbe des seins, sans jamais les dénuder. Chez les hommes, la poitrine sera mise en valeur dans le cas d’une forte pilosité, faisant référence à la masculinité. Pas de tee-shirt au décolleté plongeant, mais une chemise portée ouverte pour qui souhaite montrer ses atouts mâles. Atout dont il aura moins besoin au travail, ou dans certaines circonstances de soir ou d’apparat (suivant la logique d’une certaine esthétique), et le col sera alors fermé.

Jean et tee-shirt pour tous, hommes autant que femmes. Oui. Mais il s’agit bien de vêtements mixtes, et non de pièces unisexes. Selon une logique de rapport à la pudeur, l’argument de distinction sexuelle est, contrairement à ce qu’on pourrait croire, toujours prédominant. Les jeans, vêtements on ne peut plus codés, les tee-shirts, et les hauts en général, conservent ce qu’on appelle une coupe femme et une coupe homme[8]. Tout est dans la ligne du vêtement, donné par la coupe, et le détail des finitions[9].



Le grand principe logique est alors qu’une coupe femme montre qu’elle cache, alors qu’une coupe homme indique qu’elle montre.


Le rose et le bleu :
Il n’y a pas de couleur spécifiquement masculine, ou féminine. Et s’il y en avait, sur quelle base les auraient-on choisies ? Si dès la naissance le bleu va au garçon et le rose à la fille, c’est …qu’on pense, naturellement, au vaste ciel et à la charmante fleur. D’ailleurs les hommes portent des chemises roses. Cependant, quel insensé oserait offrir un baby gros rose pâle à un nouveau-né mâle ?
La couleur est typiquement un composant du vêtement sur lequel l’homme s’autocensure quand la femme les utilise toutes, de toutes intensités, sur toutes ses pièces (ville, sport ou soir). Pour l’homme il y a des usages, des règles, des exceptions, c’est complexe. Pour les imprimés tout autant. Avec quelques principes majeurs : pas de couleurs pour le vêtement du soir, toutes les couleurs, plutôt vives, pour le vêtement de sport, certaines couleurs, plutôt pâles, sur certaines pièces, pour le vêtement de jour.

Smoking, habit : du noir et du blanc, un peu de gris et de bleu très sombre. On suit le principe d’amplification que tient ce type de discours vestimentaire[10] qui a pour logique le beau, à l’extrême ; le costume est sacralisé. Ce qui est bon (voir infra) étant beau, ce qui est « très », est très beau.
Hommes et femmes s’accordent presque sur les couleurs du vêtement de sport : en tant qu’argument qui répond à une logique de protection et d’efficacité (camouflage ou couleurs vives ou fluo pour être visible), la couleur est traitée de la même façon pour les vêtements d’hommes ou de femmes, au même titre que les matières, les formes (qui accompagnent le mouvement) et  les finitions (efficaces). Pas de différence de genre.
En revanche, dans son rapport à  l’autre (argument pathétique), les priorités ne sont pas les mêmes pour un homme et pour une femme dans ce type de vêtement. Chacun a ses couleurs, et les porte à des fins différentes. L’homme choisira volontiers des couleurs vives qui « font peur », à l’instar de peintures de guerre, intimider avant le combat. Pour la femme, la mode étant un argument pathétique de ce type de discours vestimentaire, son choix de couleurs portera sur les couleurs mode qui l’auront séduite (registre de plaisir plutôt que de  compétition).
Pour le vêtement de jour, la femme embrasse toutes les couleurs, modes pour la logique d’être différente, belles pour  plaire, personnelles (teint, goût) pour se présenter. L’homme compose entre deux extrêmes : le costume sombre et le tee-shirt ou polo multicolore, le travail et le jardin, et déploie une gamme personnelle entre ce que son groupe social lui autorise (logique, peu de couleurs au travail), l’image qu’il souhaite donner de lui (sérieux, ouverture, gaité…) et les plaisirs qu’il s’accorde (porter ce qu’il aime, c’est alors qu’il portera ses couleurs préférées, sur des pièces plus personnelles comme des hauts).

Orange : vêtement loisir pour l’homme, en Issey Miyaké (été 2010),  costume de jour pour la femme, en Sonia Rykiel.


Le costume pour homme : le mystère d’une renonciation.
L’homme, depuis près de deux siècles, porte un costume dont la forme, la matière, la couleur, et les finitions ne sont justifiés par aucune contrainte autre que sociale, semble-t-il, et n’ont, pour ainsi dire, pas changé d’un iota, dans une société qui, pendant cette même période, a évolué plus que pendant toute autre période précédente. Pendant ce même temps, la femme a tout porté.
L’homme s’est de lui même assujetti à un vêtement plutôt contraignant, peu confortable, dont la rigueur étonne lorsqu’on se rappelle son goût pour la parure[11], un vêtement qui, par son uniformisation relative, fait fi de cette autre vocation tout aussi primordiale qu’est la distinction. Situation paradoxale : comment l’homme est-il passé des brocarts, velours, rubans, dentelles et talons rouges du XVIIIe siècle, au costume sombre de nos jours ? Comment a-t-il pu supporter et supporte-t-il encore ce renoncement à la parure ? À la distinction (dans le sens différenciation) ? Pourquoi la femme n’a-t-elle pas suivi ce même chemin ?

L’homme est sujet  dans la société qu’il a construite. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il développe, dans son discours vestimentaire, une argumentation éthique forte, en phase avec sa place dans la société, et son besoin d’individualisme qui s’est développé depuis la fin du Moyen Âge. Les arguments éthiques, dans le vêtement de jour, sont du domaine de la parure ( je suis beau donc je suis bon). Son argumentation vestimentaire est alors essentiellement tournée vers la parure (ainsi à la Renaissance il abandonne la robe longue, vêtement couvrant qui cachait plus qu’il ne montrait,  pour mieux mettre en valeur ses qualités physiques, hauts de chausses, vestes cintrées et épaulées, et la fameuse braguette). Pendant près de quatre siècles, l’homme se montre, se pare, se met en valeur. L’homme existe en tant qu’individu sujet.
Vient la Révolution française et ses valeurs d’une société plus juste, fraternelle, et équitable, ou l’homme est convié à oublier son égotisme, pour aborder le nouveau siècle. La liberté n’est pas bafouée, l’homme est toujours sujet, et c’est en toute conscience et en parfait accord avec lui même que d’un ethos individuel, l’homme passe, à un ethos commun, ou collectif, dans lequel il se fond. C’est ainsi que dans une société où la valeur travail est la valeur de base, grâce à laquelle ses principes d’égalité, de fraternité et d’égalité pourront s’épanouir, l’homme endosse un vêtement de travail pour s’atteler à la tâche enthousiasmante de cette nouvelle construction sociale. Il prend le costume de travail de l’époque : celui des bourgeois. Un costume de drap de laine sombre, qui n’a pas tant évolué que cela de celui de la bourgeoisie de l’Europe du Nord qu’on se régale de voir dans tous les portraits de la peinture flamande, ou allemande du XVeme siècle.
Cette histoire, qui semble anecdotique ne l’est pas. Sans enthousiasme, sans pensée collective de participation à un grand projet, le renoncement à la parure eut été trop difficile.

Il a été possible car il n’y a pas eu de renoncement social. La qualité d’homme sujet n’est jamais remise en cause. On est dans un système de transfert à l’intérieur d’un même moyen d’argumentation (ici éthique), ce qui permet la permanence de ce mouvement. Dans son discours vestimentaire l’homme énonce l’argumentation éthique d’appartenance à la société. Dans le même temps, il se renforce dans une nouvelle argumentation éthique personnelle en montrant qu’il est un homme de bien, puisqu’il suit l’ethos collectif. On a ainsi un mouvement auto-productif, une argumentation éthique collective permettant d’asseoir une seconde et nouvelle argumentation éthique individuelle qui renforce la première. La boucle est bouclée, l’homme est coincé dans le carcan de son costume.
Quelques déviations vont lui permettre de ne pas étouffer : la cravate où il mettra toute sa fantaisie (à condition de ne pas faire partie d’un club), les boutons de manchette pour briller un peu, un gilet peut être, des chaussettes avec de folles couleurs. Mais le plus important sera le recours à la femme parée. Ce qui va l’aider à “tenir” dans ce triste costume et à accepter un renoncement qui met à mal son complexe narcissique et son plaisir exhibitionniste, c’est un second transfert. Le transfert de ses pulsions sur un individu du sexe opposé. Sa « moitié ».
Dans un inconscient androcentrique, décrit par P. Bourdieu, la femme est objet ou parfois, sujet mineur. Elle devient dépositaire de l’habillement de son mari et symbolise, par sa parure, son prestige social, du moins sa position, et par ses goûts, sa fantaisie.L’homme présente à son bras ce qu’il ne s’autorise pas de porter.[12] Fastes ou fantaisies, richesse, sobriété, il laisse faire ou même encourage, ou bien restreint, la femme à qui il donne une injonction plus ou moins consciente de le représenter individuellement. Tout en gardant ses distances, vis à vis de cette expression, ses distances d’homme.
Comment la femme endosse-t-elle cette responsabilité ? Dans ce jeu de rôle qui lui est imposé, quelle part tient, dans son discours vestimentaire, l’argumentation éthique qui consiste à exprimer l’ethos de son compagnon. Arguments conscients, liés à une appartenance à un groupe social (niveau de prix, marque, luxe, goût). Arguments inconscients liés à son degré d’adhésion à l’individualité de l’homme qu’elle représente. Quelle place laisse-t-elle alors à sa propre représentation, et à l’expression, dans son discours vestimentaire, d’arguments pathétiques, consistant à être vêtue non pour promouvoir, mais pour émouvoir ? Une question d’époque, d’âge, de moment (dans la journée ou la vie), d’éducation, de personnalité, de conscience aussi, de soi et de sa relation de couple, d’âge encore. Une question de liberté d’être que la femme a acquise de haute lutte au fil des siècles et continue de gagner encore.


Sportswear et Femme sujet : pour un rapprochement des genres ?
Aujourd’hui, la femme est devenue pleinement sujet, elle s’est emparée de tous les modèles masculins, jusqu’au smoking, qui n’était peut être pas le plus difficile à prendre. Pendant longtemps, le vêtement du soir a résisté au mélange des genres. Là, la femme gardait sa robe habillée et l’homme son habit[13], s’octroyant quelques fantaisies, quelques fastes, sur le gilet et la cravate. Le smoking, qui était le vêtement le moins sophistiqué de ce type, plus récent et beaucoup moins sophistiqué que l’habit (en fait un costume aménagé (pose de revers satin pour fumeurs peu soigneux), ouvrit une brèche. Saint Laurent l’indiqua à la femme, qui s’y engouffra aussitôt.
La femme devenue pleinement sujet, va-t-elle porter à son tour le costume pour homme ? Assiste-t-on à un mouvement similaire de renoncement à l’expression de son individualité, chez la femme porteuse de tailleurs pantalons sombres ? Il lui reste les  chemisiers de soie et les talons aiguilles.

La femme s’est emparée de tout ce dont elle avait envie (ou besoin pour exister) dans la garde robe masculine. Par commodité, par nécessité, parce qu’on l’avait réduite à des vêtements qui l’entravaient dans ses mouvements. Et aussi pour marquer à la fois son émancipation et sa nouvelle participation au pouvoir. Elle a ainsi pris les marques du travail (bleu, jean, pull over, talons plats), et celles  du pouvoir bourgeois masculin, (gris, pantalon, veste droite, chemise à col pointu). Elle s’est emparée de tout, sans rien abandonner de sa propre garde robe et notamment, la fluidité, les cols bas, les talons hauts. De tout ce qui a trait à une argumentation éthique d’individu sujet (la femme de bien) sans abandonner l’argumentation pathétique de son discours (plaisir du porté, séduction).
La femme est pleinement sujet, mais l’inconscient androcentrique (décrit par P. Bourdieu) demeure. Nous parlons bien évidemment du boutonnage. Admirable expression de notre inconscient collectif. C’est pourquoi l’usage de la fermeture à glissière, ou éclair, ou zip, est à considérer avec attention. C’est un moyen d’accéder au vêtement unisexe. Sur les pantalons, en apparence seulement, puisque nous restons dans un registre de mixité. Mais cela est vrai pour les blousons et les pulls : on peut vraiment trouver des pièces de ce type qui soit tout à fait unisexe. En revanche, la veste de ville à fermeture à glissière a du mal à se faire une place.

Depuis que la femme est pleinement sujet, l’homme a-t-il retrouvé quelques velléités de parure ? Sa garde robe s’est enrichie de couleurs, de nouvelles matières, qui sont le signe d’une expression vestimentaire plus libre. Et dans ce cas, l’homme retourne naturellement à la parure. Si la femme s’affranchit de son devoir de représentation de l’homme, celui-ci aura besoin de se dégager du costume pour s’exprimer, et c’est ce qu’il fait. En cela il est largement aidé pas le contexte social actuel.
L’évolution de notre société vers une société dite de loisir, la nouvelle répartition entre travail et loisir, permet à l’homme de lâcher prise sur l’obligation d’une représentation collective inscrite sur la valeur travail. Hors le travail il y a une vie, hors le costume, une autre façon de s’habiller. On a vu que le vêtement de sport est un vêtement qui permet  aux hommes de porter des couleurs, des matières, des finitions qu’ils s’interdisent ailleurs. C’est aussi le domaine où les vêtements unisexes sont envisageables. Le sportswear, mélange de vêtement de jour et vêtement de sport (où on ne sait pas lequel emprunte à l’autre, lequel se substitue à l’autre), est donc à la fois, un chemin de rapprochement entre les genres, une sorte de trait d’union, et un moyen pour l’homme de retrouver ses couleurs.
Emploi de fermeture à glissière contre boutonnage et de couleurs  : unisexe ou mixité ?

L’individualisme naissant de notre société va également très largement, pour l’homme,  dans le sens d’un recouvrement des velléités de parure, d’abandon du carcan de laine froide grise. Lycra, fluidité des matières, emploi de maille (même pour des vestes), accompagne la nouvelle floraison des couleurs masculines. Ici, il ne s’agit pas de réconciliation des genres, mais d’un recouvrement des attributs mâles.

Nous ne pouvons pas dire que plus la femme s’émancipe, plus l’homme retourne à l’homme paré. Nous ne pouvons pas non plus envisager que plus la femme pioche dans la garde robe de l’homme plus celui ci le fera en retour. Il n’y a pas encore de notion de vases communiquant. Nous pourrons considérer qu’un véritable rapprochement des genres est entamé quand les emprunts se feront de part et d’autre. Quand l’homme empruntera des vêtements ou composants de vêtements de femme, comme la femme le fait depuis si longtemps chez l’homme. Aujourd’hui, non seulement l’homme n’emprunte pas même de composants, mais jamais il ne porte de vêtement de femme. Une femme peut prendre le blouson de son frère, de son jules, de son fils. Combien d’hommes ont-ils pris celui de leur sœur, femme ou fille ?
Au final, la femme a trouvé son compte dans l’extrême liberté de port où elle se trouve.  L’homme résiste en maintenant ses distances.  Résistance étrange puisque son placard a déjà été pillé. Pourquoi ne s’attaque-t-il pas à celui de sa voisine ? Il reste beaucoup de choses auxquelles il ne touche pas. Dévalorisation du sujet mâle ?  Peur de déplaire ? Désintérêt pour  un domaine si futile ?
À moins que ce ne soit pas lui qui résiste, mais le consensus social. A moins que ce ne soit la femme qui refuse de lui céder sa robe à fleurs. Si ce n’est plus une question de pouvoir, serait-ce une histoire de désir ? La femme pourrait elle désirer un homme en robe à fleurs ?

Pour avoir une idée de ce que des vêtements d’homme empruntant aux vêtements de femme  pourraient donner, il suffit de regarder la Collection Paul Smith pour homme, été 2011, qui présente ces emprunts en résonance avec ceux que la femme a fait dans la garde robe masculine (une espèce de donnant donnant, de « tu m’as pris ça je te le prends »)  pour créer une réelle garde robe paritaire. Les chemises ont des cols dégagés du cou, avec lavallières, elles sont en soie, ou en matières souples et soyeuses. Les décolletés des teeshirts sont en V profond, ou arrondis très ouverts, sur un tatouage. Les pantalons portés courts, montrent la cheville. Transparences, les hommes portent des colliers en sautoirs.

Paul Smith. Homme (Eté 2011 ) Femme, inversion des attributs. Femme : veste grise, bottes. Homme : lavallière, soieries, couleurs vives.

Il y a une étrangeté magnifique dans cette collection, tout y est à la fois décalé, et évident. Le parti pris de confort, de souplesse, rendu par la fluidité des matières et des lignes, donne une belle sérénité à l’ensemble, et c’est peut-être cela qui apporte cette impression d’évidence. Combien de temps va-t-il falloir à la rue, celle de toutes les villes et les villages, celle du quotidien qui dure, celle qui entre à l’intérieur des maisons, combien de temps lui faudra-t-il pour s’emparer de cette claire folie de podium ?


Françoise Carré


[1] Il y a une différence entre un vêtements de femme appartenant à une garde robe de femme, et un vêtement féminin, qui aura une forte connotation féminine, quelque soit la garde robe dont il fait partie.
[2] Les 4 composants qui constituent un vêtements sont : la forme, la matière , la couleur, les finitions. Un vêtement est une combinatoire de ces composants.
[3] P. Bourdieu, La Domination masculine, Éditions du seuil, Paris, 1998.
[4] Rappelons que les 4 fonctions du vêtement sont la distinction (le vêtement permet à l’homme de se distinguer de l’animal, puis de son voisin, ou s’en rapprocher, signe de reconnaissance entre deux êtres différents, âges, sexe…, deux groupes sociaux, ethniques, géographiques,…, deux sociétés), la parure, la pudeur et la protection.
[5] Rappelons qu’un discours contient trois niveaux d’argumentations : argumentation logique, contenue dans le corps même du discours, ici le vêtement, une argumentation éthique, qui fait référence à l’ethos de l’émetteur du discours, celui qui crée ou porte le vêtement, c’est à dire à la représentation de soi, morale ou autre (professionnelle, connaisseur…), et enfin une argumentation pathétique, qui touche la charge émotionnelle  (envie, plaisir, désir, honte, dégout…) du récepteur, c’est à dire du public qui voit porté le vêtement. Il est nécessaire qu’un discours contienne ces trois types d’argumentation, pour être entendu, ou reçu, suivant un certain équilibre (différent selon les rhéteurs), pour être réussi.
[6] « Le principe directeur est que le vêtement et la nudité constituent respectivement des signes d’irrévérence pour un homme et une femme. La raison psychologique de cette distinction est probablement un transfert plus important de l’investissement exhibitionniste du corps vers l’habillement chez l’homme. En vertu de ce transfert, le couvre chef devient alors une manifestation outrancière d’orgueil, une manifestation qui contrevient aux principes essentiels de l’humilité religieuse ; pour la femme en revanche, le signe d’irrévérence correspondant serait la nudité de la tête ; il semble que le couvre chef soit exigé de sa part au nom de la pudeur et non de la parure. » J.C. Flügel, le Rêveur nu, les différences sexuelles.
[7] Voire d’exhiber ses parties sexuelles s’il est moulant.
[8] Il faut bien mettre à part le moment très bref, des années 60 où les femmes ont investi cette forme de pantalon et qui  avait une coupe homme (et non mixte).
[9] Poignets, ouverture de l’encolure, bord côte.
[10] Nous avons établi qu’aux trois types de discours définis par les principes rhétoriques, correspondaient trois types de vêtement. Ainsi le vêtement du jour est à rapprocher du discours juridique dont l’argumentation logique est le respect des lois, ici les règles d’appartenance à un groupe social (distinction) et de pudeur, le vêtement de sport est à rapprocher du discours politique, discours de l’utile, ici protection et performance, le vêtements du soir et d’apparat, du discours d’éloge, où se dit le beau (priorité à la parure).
[11] La parure est justement la vocation première du fait de se vêtir, pour tout être humain. L’homme, par ailleurs, a très souvent, dans la plupart des civilisations, tendance à être plus paré (couleurs, bijoux, plumes) que la femme. Un peu comme les oiseaux mâles qui ont un plumage plus riche en couleurs, que les oiseaux femelles.
[12] « Projeter le désir exhibitionniste sur une personne du sexe opposé. Un homme sera généralement fier d’apparaître en public aux bras d’une femme belle et bien habillée. » Fluëgel, le Rêveur nu.
[13] A proprement parler, puis smoking, ou le costume élégant.


vendredi 18 mars 2011

Masculin Féminin : un genre deux vêtements


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Crée par le groupe auFeminin.com, en partenariat avec QualiQuanti, le blog Womenology est composé de deux espaces principaux :
- un espace de veille rassemblant les meilleurs exemples de communication auprès des femmes
- un espace de réflexions composé d’analyses de cas, de fiches de lectures, d’interviews d’experts, d’études sur les comportements hommes/femmes, etc



jeudi 17 mars 2011




Des tonnes, ça fait beaucoup,
Quatre c'est encore trop,
Même en promo.
Il m'en suffirait d'un,
Un seul, c'est tout.
Même pas immense
Et pas forcément beau.
 

Pour m'envoler très haut.



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